Le Régime Juridique des Associations Internationales
Appendix 3.1 of the International Associations Statutes Series vol 1, UIA eds (1988)
The Central Office of the Union of International Associations produced the following report in response to a request by the 1st World Congress of International Associations (Brussels, 1910) to prepare a draft convention on the legal status of international associations. The document was widely distributed before the meeting, accompanied by the text of the proposed draft (see Appendix 4.2 and 4.3). It was also reprinted in the proceedings of the Congress. The document is of historical interest in its own right. It is unfortunately true, however, that since there has been no improvement in the international legal status of international associations, many of the points made therein are as valid in 1987 as they were in 1913.
La question du régime juridique à appliquer aux Associations Internationales sans but lucratif est une des plus importantes et des plus graves: la nécessité de sa solution devient chaque jour plus urgente au fur et à mesure que se multiplie le nombre des organismes mondiaux et universels et que s'étend leur action (1). Cette notice expose l'état actuel du problème et en résume les données essentielles.
Historique. Sources à consulter
Dès les premiers temps de sa fondation, l'Office Central des Associations Internationales se préoccupa de la question du statut juridique des Associations Internationales. Lors de la présentation à la Chambre belge du projet de loi, approuvant la convention qui créa l'Institut International d'Agriculture, il communiqua ses observations au rapporteur de la loi et un premier exposé officiel des désiderata des associations fut introduit dans le rapport présenté à la Chambre des Représentants de Belgique, le 14 juin 1907, par M. Tibbaut.
Quelque temps après, à l'initiative d'un groupe de députés appartenant à tous les partis, une proposition de loi y fut déposée réglementant le régime des Associations Internationales et leur accordant la personnification civile (2). Le rapport, rédigé par M. Van Cleemputte au nom de la section centrale, a été déposé à la séance du 3 mai 1910. Il conclut favorablement.
La question fut inscrite à l'ordre du jour du Congrès Mondial des associations internationales de 1910 et y fit l'objet de rapports, de longs débats et de conclusions précises. Des juristes éminents, tels MM. Edmond Picard et Ed. Clunet, apportèrent leurs lumières à l'élucidation du problème (3).
La résolution votée par le Congrès, fut formulée en ces termes:
(a) Il y a lieu d'instituer, par voie de convention diplomatique, un statut supernational à l'usage des Associations Internationales sans but lucratif qui, à raison de leur nature ou de leur objet, ne peuvent ni ne veulent se placer sous une législation associationnelle déterminée;
(b) Pour assurer la mise en pratique de cette résolution, le Congrès constitue son bureau à l'état de Comité permanent. Il lui donne mandat de préparer l'avant-projet de convention et de règlement d'application qui seront communiqués aux Associations Internationales adhérentes pour recuillir leurs observations. Le Congrès invite son Bureau à prier le Gouvernement belge à soumettre son travail, quand il sera terminé, à l'approbation des autres Etats.
Le principe de cette résolution fut confirmé quelque temps après par l'International Law Association.
La même année, lors de la réunion de l'Association internationale des Académies à Vienne, la question y fut soulevée à l'occasion des dons et legs éventuels dont elle serait la bénéficiaire; les académies associées furent invitées à étudier la question pendant le prochain triennat de manière à ce que, lors de la prochaine assemblée générale à Saint-Pétersbourg, en 1913, une proposition définitive soit présentée.
En 1911, des discussions se sont élevées au sein de l'Institut International d'Agriculture de Rome, au sujet du caractère juridique de cet Institut. M. Louis-Dop, délégué de la France et Vice-Président de l'Institut, conclut en son rapport, à considérer cet Institut comme un établissement public international, jouissant de la personnification civile, ayant droit au privilège de l'exterritorialité pour ses délégués et son personnel, et, pour tout ce qui concerne sa gestion, justiciable uniquement de la Cour internationale d'arbitrage (4). Le Comité Permanent a conclu à la nomination d'une Commission de juristes et de diplomates chargée notamment de rédiger un questionnaire complet et précis pouvant être soumis par chaque délégué aux autorités de son pays, spécialement compétentes en matière de droit international.
Position de la question
La question revient à ceci: quelle est la nature juridique d'une Association Internationale; comment définir celle-ci au point de vue légal; quels sont ses obligations et ses droits; où peut-elle agir juridiquement?
La question est intéressante:
(a) Au point de vue juridique: l'Association Internationale constitue un phénomène juridique nouveau qui donne lieu à des notions et à des problèmes nouveaux;
(b) Au point de vue pratique: grand nombre des Associations existantes, extension de leur activité, accroissement de leur patrimoine et de leurs relations juridiques de toute nature; la conception d'un travail collectif permanent s'incarne nécessairement dans un organisme permanent; un corps moral ne saurait avoir de vie propre et utile que s'il dispose des moyens matériels pour la manifester à l'extérieur;
(c) Au point de vue social: les Associations Internationales assument des fonctions de plus en plus nombreuses et variées. Elles constituent des éléments fondamentaux de la structure de la Communauté internationale en voie de formation; en effet, les organes de la Vie Internationale, ne sont pas exclusivement les particuliers, agissant comme personnes privées du droit international, ni les Etats agissant comme personnes publiques de ce droit: à côté d'eux existent et fonctionnent les Associations Internationales dont le rôle important est évident pour tous.
Systèmes en présence
[A. Système du droit national]
1. Le lieu du domicile régit la loi de l'Association Internationale. Suivant la législation nationale de ce lieu, elle jouit ou non de la reconnaissance légale et cette reconnaissance peut comprendre ou non la personnification civile. Aucune distinction n'est faite à cet égard entre sociétés nationales ou internationales (régime actuel de la pluplart des pays).
2. La loi nationale fait une catégorie à part des Associations Internationales et les soumet à un régime spécial (régime proposé par le projet de loi belge).
3. Les Etats par convention internationale reconnaissent l'existence juridique aux Associations Internationales créées sous la loi d'autres pays, mais cette reconnaissance maintient à l'associaion le caractère national que lui donnent ses status (5).
A ce système on a fait les objections suivantes:
(a) Le système du droit national est nettement insuffisant, car l'essence d'une Association internationale consiste à exister en dehors de toute nation déterminée. Toute assimilation est donc contraire au fond même des choses;
(b) En pratique, ce système donne lieu à des complications inextricables: à côté d'associations dont le siège est fixe, un grand nombre sont itinérantes ou changent fréquemment leur siège (6);
(c) L'ordre public d'un pays n'étant pas celui d'un autre, les Etats ne peuvent consentir à reconnaître d'avance des Associations fondées ailleurs, peut-être à l'encontre des principes de leur ordre public national;
(d) Le système ne fournit aucune garantie de stabilité, car le patrimoine d'une Association, bien collectif international, reste soumis aux changements arbitraires qui sont le propre des législations nationales.
[B. Système du droit extranational]
1. Dans une convention internationale, les Etats reconnaissent l'existence des Associations (existence qui est antérieure à leur reconnaissance) pourvu qu'elles satisfassent aux conditions essentielles d'un statut qu'ils arrêtent.
2. Les Associations dès lors tirent leur droit de la convention internationale elle-même; chaque pays les respecte et les protège dans les limites de son territoire national et en vertu de l'obligation contractuelle qu'il a prise.
3. Les Associations se font enregister dans un bureau international qui a pour fonction de contrôler la conformité des statuts de l'Association aux dispositions du statut type. Cet enregistrement est une application du système en vigueur pour les marques de commerce internationales, système par lequel le dépôt d'une marque au Bureau de Berne suffit pour valoir égale protection dans tous les pays de l'Union.
Ce système donne aux Associations la possibilité juridique d'une vie mondiale; elle les soustrait aux imperfections et aux aléas des législations nationales, elles les fait aussi échapper aux inconvénients d'une fiction radicalement fausse en vertu de laquelle elles seraient, elles, internationales, de par la volonté de leurs fondateurs et membres, de par leur but et objet, contraintes d'adopter une nationalité.
4. Parallèle avec la situation des associations de capitaux
Il est deux grandes catégories d'Associations Internationales, celles sans but lucratif et celles avec but lucratif. Tout ce qui a été dit précédemment ne concerne que les Associations sans but lucratif.
[A.] Les associations à but lucratif, associations de capitaux, revêtent la forme anonyme ou coopérative. Il est intéressant d'examiner leur régime et d'en retenir quelques observations applicables aux associations sans but lucratif. En général, les sociétés commerciales, bien que constituées à l'étranger, sont reconnues par la plupart des pays et admises à l'exercice de leur industrie. Elles sont ainsi susceptibles de devenir des Associations internationales en fait, sinon en nom.
Trois systèmes conduisent ici au même but:
(a) Le système anglo-américain qui accorde cette reconnaissance même en l'absence de toute convention internationale;
(b) Le système des traités de commerce et d'amitié qui contiennent la clause du traitement de la nation la plus favorisée;
(c) Le système des conventions spéciales ou des traités de commerce contenant des stipulations expresses concernant la reconnaissance et l'admission des sociétés étrangères.
[B.] On s'est demandé si la clause de la nation la plus favorisée n'est pas suffisante pour justifier en faveur des sociétés à but non lucratif, le droit d'agir à l'étranger. Les traités internationaux qui contiennent cette stipulation s'intitulent ordinairement du nom de [Traités de commerce et d'amitié]. Ce dernier terme implique que la réciprocité s'étend à des relations autres que le commerce. Toute la vie internationale repose de nos jours sur la base de la réciprocité. On peut se demander si de tels traités n'impliquent pas ainsi reconnaissance des associations sans but lucratif.
[C.] Une autre observation mérite de retenir l'attention. En ces dernières années une évolution très significative s'est produite dans le droit positif des sociétés anonymes. Aujourd'hui, sauf en Roumanie et en Russie, la législation du monde entier a adopté le système légal de la constitution libre, mais surveillée ultérieurement par les tribunaux. Un simple enregistrement ou le dépôt des actes constitutifs suffit avec ce régime nouveau. L'argument que la personne morale n'existe pas par elle-même mais procède d'une création législative a perdu sa valeur. Cet argument est ancien et tire son origine d'antécédents historiques. C'est sur lui que s'appuyèrent les premières législations commerciales pour conférer à l'Etat le droit d'autorisation qui était pour lui une source de revenus enviés, maintenus par esprit de discalité. Cette nouvelle théorie de l'enregistrement doit nécessairement influer sur les conceptions en matières d'association n'ayant pas un but de lucre.
[D.] Une tendance nouvelle s'est manifestée aussi dans le droit des sociétés commerciales en ce qui concerne la détermination de leur nationalité. Celle-ci est déterminable de deux manières: selon l'une, le statut personnel d'une société se règle d'après le droit du pays où a lieu l'incorporation ou l'enregistrement; selon l'autre c'est le lieu où la société a le centre de son activité, et il appartient éventuellement au juge d'en décider. Le premier système est réaliste et objectif: c'est celui, par exemple, des législations belges et italiennes. On fait valoir en sa faveur que le droit concède à l'individu la liberté de se choisir une patrie. Or, le droit ayant comme fonction d'être utile à des fins économiques, on ne peut ôter à l'individu le droit de choisir, pour l'accomplissement de ses actes juridiques, le lieu dont le droit favorise le mieux la constitution et l'existence des actes en question. Le droit de libre circulation existe donc non seulement pour l'individu mais aussi pour les actes juridiques (7).
Le système de la nationalité liée au siège de l'activité sociale soulève d'immenses difficultés pratiques. Quel sera par exemple le siège véritable des entreprises coloniales ayant leur centre d'activité dans l'Afrique, mais enregistrées à Paris, à Londres, à Hambourg. L'essor des cartels, des amalgamations et des trusts est énorme. Avec le contrôle financier des industries par les banques, avec l'institution des [Holding Companies] qui acquièrent des actions d'entreprises situées dans le monde entier, où est le centre de la société? L'usine est en Hongrie, le comptoir du cartel est à Vienne, et le cartel lui-même est contrôlé par des banques françaises et autrichiennes.
[E.] Aujourd'hui la société anonyme est tenue pour la création d'un certain droit national, sous l'égide duquel elle s'abrite. Comme le dit Westlake, "elle est liée par son domicile à un Etat certain, celui du droit dont elle dérive son existence".
Mais dès lors, qui ne voit à quel point, semblable théorie consacre le caractère d'artificialité de la notion de la nationalité. Celle-ci n'est plus que le résultat d'un acte arbitraire de la volonté des constituants, quelle que soit la patrie de ceux-ci, quel que soit le pays où s'exerce l'activité de la société créée (8).
On est logiquement conduit à envisager l'élimination de cette notion dont le fondement est si ténu et à considérer, comme adéquate aux faits, la conception d'un [être juridique international] appelé à l'existence par le seul fait d'un enregistrement international, pourvu qu'il se conforme à un certain nombre de conditions essentielles, fixées préalablement par convention internationale entre les Etats.
En matière de sociétés anonymes agissant à l'étranger - celles qu'on peut appeler vraiment les sociétés commerciales internationales - on a vu demander l'unification des législations.
L'Association de Droit International (International Law Association) dans sa session de Berlin a adopté un Code modèle qui formule des règles en cette matière. L'uniformité a été reconnue désirable, car en fait la situation de ces sociétés est devenue la même partout sous l'infuence des méthodes mises en usage par le capital international.
Une considération analogue doit servir de base à l'unification de la législation sur les Associations Internationales sans but lucratif. Il y a lieu seulement de consacrer un état de choses existant. Partout ces Associations Internationales agissent dans des conditions semblables, et c'est cette identité de leur conduite qui justifie l'identité du régime juridique dans tous les pays.
Qu'un droit international soit donc créé pour les associations sans but lucratif et, empruntant le terme même de la formule de Westlake rappelée plus haut, c'est de lui, de lui seul que celles, qui l'adopteront, dériveront à l'avenir leur propre existence.
5. Le concept de la personnification civile et la nationalité des personnes morales
La notion elle-même de la personnification juridique en général a fait en ces dernières années l'objet d'études approfondies. Les romanistes et les civilistes français, allemands, anglais, italiens l'ont examinée sous des aspects nouveaux. Dans son rapport sur le projet de loi belge, M. Van Cleemputte en donne une consciencieuse analyse à laquelle il faut renvoyer. M. Ernest Isay a consacré un ouvrage entier (9) à l'examen de la nationalité des personnes morales et sa thèse mérite de retenir l'attention.
Il s'est placé au point de vue des dispositions du droit actuel et non pas à celui du droit théorique. Tout d'abord il examine si une personne morale est capable d'avoir une nationalité. A cette fin il recherche quelle est la notion de la nationalité et il définit celle-ci la somme des relations juridiques entre l'Etat et ses [membres privilégiés]. Ce terme de "membres privilégiés" est expliqué par le fait que l'étranger est aussi aujourd'hui membre de l'Etat où il séjourne, mais il n'en est pas membre privilégié. L'auteur recherche ensuite la notion de la personne morale et il la définit une "organisation" et par là même une réalité, mais sans volonté originale. Enfin, il examine si les relations nommées [nationalité] peuvent exister entre l'Etat et la personne morale telle qu'elle vient d'être définie. Il constate que les personnes morales peuvent avoir presque tous les droits et les devoirs envers l'Etat dont la substance représente la notion de la [nationalité].
On a fait remarquer à M. Isay que la personne juridique ne jouit pas de certains droits personnels, ni de droits publics comme l'électorat et l'éligilité, qu'elle n'est pas obligée au service militaire et que cette situation peut justifier des objections à l'assimilation des deux sortes de personnalités.
Dans une deuxième partie de son ouvrage, l'auteur examine à quel Etat doit appartenir une personne morale. Il constate que chaque Etat a le pouvoir, en vertu du droit des gens, d'ordonner ou de défendre les action humaines qui ont lieu sur son territoire. Par conséquent, l'Etat, où se trouve le centre de vie de l'organisation dénommée association, cet Etat a le droit, garanti par le droit des gens, d'ordonner ou de défendre actes qui concernent l'administration de cette association. Par là, l'Etat où se trouve le siège social domine l'origine, le développement et la fin de l'association. Cela veut dire qu'il domine sa vie, en d'autres termes que l'association est le sujet de cet Etat, que l'association est le sujet de l'Etat où elle a son siège social. Selon le droit des gens, la personne possède donc la nationalité de l'Etat de son siège social.
L'auteur fait observer que ces thèses sont celles qui résultent du droit des gens actuel, à défaut de traités spéciaux sur la matière. Mais si demain ce droit vient à être élargi par des conventions spéciales sur le régime des Associations Internationales, ce droit nouveau deviendra la source de la nationalité des personnes morales, cette nationalité changera par le seul fait du changement du droit des gens.
Notes
1. Ils sont actuellement (en 1913) de plus de 500. Voir Liste des Associations Internationales, Bruxelles, Office Central. In-8° , 46 p. (Publication no.14).
2. Session 1906-1907. Proposition de loi no. 219.
3. Voir Actes du Congrès Mondial, p. 53 et 317 à 333.
4. Rapports aux séances du Comité permanent du 11 décembre 1911 et du 26 février 1912.
5. Dans certains cas, les Conventions Internationales prévoient expressément quel sera le régime des Associations Internationales créées par les Etats. Ainsi, l'article 3 des statuts organiques de l'Office international d'hygiène publique s'exprime ainsi: "Le Gouvernement de la République Française prendra, sur la demande du Comité International visé à l'article 6, les dispositions nécessaires pour faire reconnaître l'Office comme établissement d'utilité publique". Par suite du défaut de stipulation à cet égard, on ne considère pas que les grands offices internationaux de Berne jouissent aujourd'hui de la personnification civile.
6. Parmi les Associations itinérantes on peut citer les suivantes: ...
7. Voir les travaux de l'Association de Droit International: Sir Thomas Barclay à la session de Berlin (1906) et M. Andor Jacobi à la session de Paris (1912) sur La condition juridique des sociétés anonymes étrangères.
8. C'est au nom de la thèse matérialiste que le Gouvernement autrichien s'est, par deux fois, opposé à des interventions diplomatiques de gouvernements étrangers justifiées par le seul fait que leurs nationaux étaient actionnaires de sociétés constituées sous le régime de la loi autrichienne (Affaire de la Vacuum Oil Company, filiale de la Standard Oil Company) et de la loi hongroise (affaire de la Limanova).
9. Isay, Ernsst - Die Staatsangehörigkeit der Juristiche Personen. Tubingen, J.C.B. Mohr (P. Siebeck) in-8° , 224 S - Compte rendu de cet ouvrage par Pyloty, Archiv für Oeffentliches Recht, Band 22, S, 534-540, par Daniel Loick, Revue de Droit International, 1908.